Interview de Alfred-Raymond Chemin

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Interview de Alfred – Raymond Chemin par Christophe Meuret – Historien Archéologue

Interview de Alfred – Raymond Chemin

J’ai rencontré Raymond en me réinstallant dans le sud de la France après 10 ans d’absence. Le hasard fait bien les choses et il a suffit d’une évocation de vacances à la Motte pour que nous fassions connaissance.

Alfred Chemin, plus connu aux Mottes avec le prénom de Raymond, habite aujourd’hui le village du Revest-Les-Eaux dans l’arrière-pays toulonnais. Il est venu là en 2012 rejoindre son fils Jean-Paul, mais aussi rechercher des cieux plus cléments du fait de sa santé fragilisée par une vie très remplie, surtout très laborieuse. Alfred se trouve très bien dans le sud de la France, notamment pour le climat; il a des tas d’amis même si ceux laissés aux Mottes font un grand vide dans son cœur.

CM : Alors tu es né à la Motte ?

AC : Oui, plus précisément au Mas de la Motte d’Aveillans, rue du Galibier. Ma mère était après faner (faire les foins) quand elle a eu les douleurs de l’enfantement. Mon père l’a transporté chez nous, c’était le 3/08/1931…

CM : Ton prénom, c’est Raymond ou Alfred ? Ici, tout le monde t’appelle ‘Fred ?

AC : A la Motte, on m’appelle Raymond parce que ma mère voulait me donner le prénom de son frère tué à 19 ans à la guerre 14-18, mais quand mon père est monté à la mairie pour me faire inscrire, il a rencontré un copain qui revenait d’Indochine qui s’appelait Garnier Alfred et il lui a dit : « si tu veux que je sois parrain, il faut donner mon prénom »… voilà.

CM : Que peux-tu dire de tes parents ? (on peut voir leur portrait sur le buffet que Raymond  a ramené de la Motte).

AC : Je les regarde le matin et le soir. Mon père (né en 1886) était au 6ème BCA en 14-18, il a été décoré par le général Pétain (alors général), trois médailles dont croix de guerre avec palme. Il avait été blessé à la tête. Mon père a appris à parler le français au service militaire. Vers la fin de la guerre, il a été rappelé pour aller au charbon. Il était orphelin à 7 ans, originaire de Mayres-Saint-Arey. Ma mère était réfugiée du Nord (Quesnoy-sur-Deule). Ils avaient été rapatriés par les Allemands à travers le Luxembourg et la Suisse. Elle en voulait aux Français de les avoir laissés; son nom était Julia Demade. Ils ont été de très bons parents : on a toujours fait ce qu’on voulait mais le matin il fallait quand même se lever à 5 heures pour aller au travail. De 15 à 25 ans, on faisait surtout ce qu’on voulait de ce qu’on pouvait faire…

CM : Peux –tu en quelques lignes résumer ton enfance ? Au Mas, c’est ca ?

AC : Oui, au Mas. En 1940, j’avais 9 ans. Mon père m’a amené à Savel garder les vaches de Pâques à Noël, c’est pour ça que l’école m’a passé devant le nez… Seulement trois mois par ans…

CM : Ça t’a manqué ?

AC : L’instruction te manque toujours, même maintenant, quand j’écris et que je fais beaucoup de fautes.

CM : A propos des vaches à Savel, c’était pendant la guerre ?

AC : Oui, en 1940.

CM : Comment as-tu vécu cette période de la guerre ?

AC : En 41, j’étais chevrier avec mon père à la Motte d’Aveillans, du premier mai au 31 octobre (Mon père s’est débarrassé de ses chèvres quand je me suis marié en 55)… En 41 toujours, j’étais placé chez Janin à Versenat, au dessus du Villaret (ils plaçaient les enfants pour qu’ils mangent bien), c’était une famille de Saint-Arey. En 43, j’étais encore placé aux Eyverras en allant sur la Morte, famille Barthelemy, des petits cousins de mon père; ca sortait de Saint-Arey. En 44, j’étais chevrier et tous les gosses du Brau (Les Signaraux), Georges, Marcel, leur sœur Yvonne, on était peut-être 10 gosses à regarder passer la division Leclerc de Brame-Farine. C’est là qu’il y avait le chalet de ski de la Motte d’Aveillans. En 44, j’avais 213 chèvres, jusqu’au 27 octobre, je m’en souviens, il a neigé 25 cm de neige. On faisait les liasses avec les rameaux et les feuilles de frênes. Tous les cinq ans, on les taillait, on les recoupait pour faire des liasses. On faisait sécher ça en boule pour le donner aux chèvres pendant l’hiver.

CM : Ça vous a fait quoi de voir passer les troupes françaises ?

AC : Nous on rigolait, à l’âge qu’on avait…

CM : Tu as dû en faire des kilomètres avec tes chèvres ?

AC : Entre l’école à pied, les chèvres A 18 ans,… je faisais le Mas – le Brau (Les Signaraux) en 22 mn, en courant. Quand j’étais jeune on allait ramasser des violettes aux Treize Bises. Ce qu’il y avait de surprenant c’est que là où il y avait des blanches, on ne trouvait que des blanches, où il y avait des jaunes, que des jaunes, ou que des violettes pour les violettes. Je m’expliquais pas ça. Il y en avait partout de Brame Farine jusqu’au Senepy. Il y avait un plateau de jonquilles aussi aux Treize Bises et là, pas une seule violette.

CM : Tu voyais aussi des animaux là-haut ?

AC : Je voyais des lièvres, j’en ai vu mon sou, des coqs de bruyère, à la cime du Bois Noir… Il y avait même un couple pendant la guerre.

CM : On faisait de la cueillette dans ces massifs ?

AC : Je ramassais des myrtilles. L’année 44, j’en ai ramassé 125 kg. J’étais chevrier et je faisais le parcours tous les jours. Il y avait aussi des framboises, j’en ai aussi ramassé mon sou. Depuis qu’ils mettent les vaches, il y a plus de myrtilles. Il y avait des vernes (?) hautes de deux mètres entourées d’ambrunes (myrtilles) jusque dans les rochers à Brame Farine. J’en ai mangé parfois 1 kg dans la journée, c’est très bon.

CM : Depuis qu’ils mettent des vaches ? Il y avait quoi avant ?

AC : Avant, il y avait 1000 brebis sur le Senepy, c’était le fils du Georges Renat qui en avait presque 1000 de la Motte d’Aveillans (vers 44, 45, 46). La famille Colonel avait une quinzaine de vache. Il y avait deux frères Renat au Brau (Les Signaraux) Lucien et Le Franc et au milieu, il y avait Colonel, surnommé le Lessi, le père Lessi…

CM : As-tu d’autres souvenirs de cette période, de faits qui t’ont marqués ?

AC : A Brame Farine, au chalet de ski – il appartenait à Charles de Marliave, le patron de la mine qui l’avait donné au ski-club de la Motte d’Aveillans, il y avait des réfugiés comme Georges Rey qui venait de la région de Nice… Il m’a appris à skier. Voilà à peu près toute ma jeunesse. Fin 44, j’étais placé à Valbonnais, chez le père Roux, où je suis resté jusqu’au 30 septembre 45. C’est là que mes parents m’ont fait rentrer à la mine, j’avais 14 ans. J’en suis sorti à 50 ans. J’ai été mis en retraite le 1er janvier 1982.

CM : Et le service militaire ?

AC : J’étais éclaireur skieur, 1ère compagnie du 15ème BCA. Le bataillon était à Bregenz près du lac de Constance et moi, la compagnie Un, à Chruns, en Autriche, dans la province du Vorarlberg; c’est là que j’ai connu la plus belle piste du monde, 4km5 de descente pour 1500 mètres de dénivelé. A cette époque, c’était Claude Penz qui avait le record de la piste.

CM : Tu me disais tout à l’heure que tu aurais aimé avoir plus d’argent ?

AC : Ca valait le coup là-bas,… on était dans l’hôtel Adler, (ca veut dire nid d’aigle), réquisitionné. On mangeait bien. J’ai jamais acheté quelque chose pour me nourrir. On était tous des jeunes sortis de la guerre; on savait tous ce que c’était. Pourtant, on a toujours mangé à notre faim… Mon père a toujours veillé à ça.

CM : Ça a duré combien de temps le service en Autriche ?

AC : 18 mois.

CM : Et sur la période où tu travaillais à la mine ?

AC : C’était simple : tu travaillais, tu gagnais des sous. Je ne regrette pas et si c’était à refaire, je referais pareil avec ce que je sais aujourd’hui. On avait du travail, c’était déjà pas mal… Autour de 17-18 ans, on allait souvent danser à la Motte Saint-Martin, dans le hall de la mairie, après les deux escaliers, la piste était toute en bois…

CM : Et à la mine, tu faisais quoi ?

AC : Un peu tout. Jusqu’ à 20 ans, j’étais aux Béthoux. Je faisais la brigade, je menais le cheval qui ramenait les berlines. Il y a ceux qui travaillaient au fond et ceux qui étaient au jour… Le charbon sortait presque du niveau du Drac et remontait … On était sous le Vivier, la Motte Saint-Martin, et je sais pas si on entendait pas les coups de mine… La galerie qui part des Béthoux pour aller au puits Sainte-Marie n’était pas étayée, c’était la roche pure… De brigadier, j’ai fait l’abattage du charbon puis, quand j’ai été blessé, on m’a mis au relevage des poussières. J’allais dans les chantiers avec un appareil pour mesurer les poussières, les gaz.

CM : Le grisou ?

AC : Non, pas de grisou chez nous ! C’était le gaz carbonique. En 46, il y a eu 6 ou 8 morts…et en 73 à peu près pareils. En 73, on était le matin dans la cheminée qui a pété l’après-midi…

CM : Après des accidents comme ça, ça devait être dur de reprendre le travail sereinement ?

AC : Il fallait aller chercher les corps… je faisais partie du service de sécurité, on faisait les masques à oxygènes…

CM : Sinon tu as travaillé aussi à l’extraction de l’anthracite ?

AC : Oui, jusqu’à me faire péter la colonne.

CM : La colonne ?

AC : J’ai fait trois mois d’hôpital à la Tronche… Ce qui m’a valu 66% d’invalidité. Si tu ajoutes 40% de silicose… Je me suis soigné pendant 10 ans; j’allais voir un chiropracteur à Genève… j’en avais pas en France à l’époque… à mes frais…

CM : Et sur la vie aux Mottes ?

AC : A la Motte d’Aveillans, on est  monté à plus de 3000 habitants.

CM : Il y a avait beaucoup de commerces, des bars ?

AC : Il y a eu 43 bars et cercles sur la commune de la Motte d’Aveillans, il y en avait déjà trois au Mas.

CM : Et à la Motte Saint-Martin ?

AC : Au Vivier, j’en ai connu trois : Il y en avait un juste avant le pont à droite près du ruisseau de Vaulx …

CM : Et comme commerces ?

AC : Il y avait la mère Giraud au Villard, Oddoux au centre d’Aveillans, un autre près de l’église… La boulangerie Galvin à la Festinière… Le coiffeur Bailleul, en face de l’église, il avait marqué : « Demain, on rase gratis ». Il y avait autour une série de commerces, boucher-charcutier Brunjail. A la fin il n’y avait plus rien… ça a commencé en 1956 avec la fermeture de la mine.

CM : Merci infiniment pour tout le temps consacré à cette interview…

Raymond-Alfred Chemin – Christophe Meuret

Quelques mots de patois donnés par Raymond :

  • Arey= airelles
  • Ampoints=Framboises
  • Ambrunes = myrtilles
  • Fayard= hêtre
  • Ina tchura=une chèvre
  • A –t-i vaï les autrés ?= As-tu vu les autres ?
  • A t i vaï ma fenin ? As-tu vu ma femme ?